Charge mentale au travail : comment la détecter et la combattre

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Manon est ouvrière sur les chaînes de montage chez un grand constructeur automobile. Chaque jour, sept heures durant, elle intervient sur 400 véhicules en moyenne. Elle utilise six outils, réalise environ 30 opérations par minute et monte cinq pièces, dont la plupart diffèrent en fonction du modèle de voiture.

J
acques est manager d’une équipe de cadres répartis sur tout le territoire français. Chaque semaine, il participe à une vingtaine de réunions dont la plupart sont à distance, il reçoit des milliers de courriels et des dizaines d’appels téléphoniques.

Martine est aide-soignante dans une maison de retraite, où elle s’occupe quotidiennement de 15 personnes âgées. Après avoir fait leur toilette (en moins de deux heures), elle les aide à prendre leur repas et à recevoir leurs soins. Elle est interrompue en moyenne vingt fois par heure, pour diverses raisons.

Simon est caissier dans un magasin. Il scanne 700 articles et soulève 1 tonne par heure sur son tapis, en moyenne. Il dit également 150 fois « bonjour » et « bonne journée », et reçoit 50 regards désapprobateurs en cas de retard à cause de prix manquant ou de légumes non pesés.

Le point commun de toutes ces personnes ? Chaque soir en rentrant chez elles, elles sont fatiguées, usées. Et chaque nuit, elles rêvent de leur travail ! Un travail qui s’est intensifié, complexifié. Un travail qui a, durant ces vingt dernières années, peu à peu perdu son sens. Un travail qui, paradoxalement, a aussi été envahi par des nouvelles technologies censées aider à réaliser les tâches sans effort, sans contraintes, bref plus « facilement ». Comment en est-on arrivé là ? Que peut-on faire pour remédier à la situation ? Pour le découvrir, partons pour un voyage en trois étapes.

Première étape : identifier le phénomène

Ici, on parlera de charge mentale au travail. La charge mentale représente à la fois la quantité d’informations à traiter et leur complexité, la manière dont nous les traitons en fonction de notre état affectif, et le temps dont nous disposons pour les traiter. Ces trois paramètres, la charge « cognitive », la charge « psychique » et la pression temporelle, sont intimement liés. Lorsqu’ils ne sont pas optimisés les uns par rapport aux autres, la charge mentale se transforme en contrainte…

Imaginons que vous deviez apprendre une nouvelle langue. Mettons, le mandarin. Avec le bon professeur, pas de problème me direz-vous ? D’accord. Imaginons à présent que vous deviez apprendre le mandarin en 3 mois et que si vous ne réussissez pas, vous êtes viré ! Ça se complique, pas vrai ? Cet exemple illustre le fait qu’un être humain peut tout à fait traiter des informations très complexes et nombreuses, à partir du moment où il n’est pas sous pression.

Or, notre époque est devenue celle de l’instantanéité, des fast-food aux réseaux sociaux, en passant par les livraisons express ou les programmes à la demande, notre époque est devenue celle de l’instantanéité. Téléphones portables, ordinateurs surpuissants, outils robotisés : les technologies à haute performance font partie de notre quotidien, parfois dès le berceau. Avec un corollaire, la quête du « toujours plus ». Plus de buzz, plus d’amis sur Facebook, plus de « likes » sur Instagram, plus d’efficience professionnelle, plus de production, plus vite, mieux, avec des horaires toujours plus flexibles. On comprend alors qu’émergent des problématiques liées à la charge mentale au travail…

Deuxième étape : repérer les signaux

Si l’on part du principe que l’être humain, par nature, cherche à faire correctement son travail, à y trouver du sens et à mettre à profit son inventivité dans son activité, on doit en premier lieu être attentif aux baisses de performance. En effet, comme le souligne le psychologue du travail Yves Clot dans son ouvrage, la qualité empêchée est au cœur du travail. Il est rarissime qu’un travailleur, quel que soit son métier, plonge délibérément dans l’échec.

Une chute des indicateurs, brutale ou progressive, indique donc bien souvent une gêne liée au contexte ou à la tâche qui est prescrite et, notamment, à la charge imposée au travail. Pour pallier cette contrainte, le travailleur, qui se sent investi d’une responsabilité vis-à-vis de sa tâche, cherchera d’abord à contourner la prescription, à en corriger les défauts, quitte à puiser dans ses propres réserves énergétiques, à négliger ses postures, à marcher plus, à « absorber » davantage de charge, à rogner sur sa bonne humeur. C’est seulement lorsqu’il arrive à saturation, au bout de ses capacités, qu’on observera un impact réel de cette charge sur les résultats.

Turnover, écarts à la consigne, troubles physiques, surinvestissement, ambiance dégradée, et hausse des erreurs sont donc autant de signes qui doivent être scrutés attentivement. Comment faire face au problème une fois détecté ? Nous l’avons vu, la « charge mentale » est constituée de trois composantes : temporelle, psychique et cognitive. Autant de leviers potentiels sur lesquels agir pour optimiser les situations de travail.

Troisième étape : le temps de l’action

Selon une enquête de l’Institut National de la Recherche et de la Sécurité, « 45 % des actifs occupés déclarent devoir (toujours, souvent) se dépêcher ». Pour désamorcer la bombe à retardement de la charge mentale, on peut donc déjà essayer d’en neutraliser le compteur. Il s’agit de donner du temps aux salariés. Du temps pour souffler, du temps pour réfléchir, du temps pour être créatifs et donc du temps pour mieux travailler ! Cela passe d’abord par une prise de conscience de sa propre activité, comme s’efforcent de le faire certaines sociétés.

Ainsi, depuis la signature des accords sur la transformation numérique, Orange S.A. permet à ses salariés d’apprécier la quantité et la répartition quotidienne de leurs échanges numériques (par courriels et messagerie instantanée) en réalisant un bilan individuel de leurs usages numériques. Certains géants vont plus loin et dépasse le paradigme des horaires fixes au profit d’horaires flexibles. L’ONG WWF (World Wide Fund for Nature) propose les « Panda Fridays », similaires aux « vendredis off » de Acuity Brands.

Autre moyen d’action : l’état affectif des salariés, et notamment leur motivation. En 2014, le Cercle pour la Motivation, une organisation ouverte aux professionnels des ressources humaines et du management, a soumis à un échantillon représentatif de 110 personnes en situation d’emploi un questionnaire visant à évaluer leur motivation. Selon les réponses fournies, un salarié sur cinq se sentirait aujourd’hui totalement démotivé dans son travail, et aurait le sentiment de faire du « temps de présence ». Un sentiment qui toucherait particulièrement les moins de 30 ans.

Pourquoi, dès lors, ne pas donner davantage d’autonomie et de responsabilité aux travailleurs ?

Le pari des entreprises libérées

Intégrer la liberté dans leur mode de management, c’est le pari des entreprises libérées ou holacratiques. C’est le modèle choisi entre autres par ChronoFlex, qui a adopté le lâcher-prise, Michelin, qui teste le management autonome de la performance et du progrès dans six de ses usines ou encore de la société Atelier de métallerie industrielle (AMI) qui prône le management éthique.

Faire confiance à ses salariés pourrait être la clé de la motivation, si l’on en croit Isaac Getz, professeur à l’ESCP Europe, qui travaille depuis plus de 20 ans sur l’initiative des salariés en entreprise. À Grenoble IAE, l’enseignant-chercheur Rodolphe Colle et ses collaborateurs ont analysé le cas de Sogilis, entreprise qui a décidé de mettre ses « développeurs au pouvoir ». Leurs travaux montrent qu’en termes de performances et de bien-être des salariés, la liberté a du bon, même si un certain nombre de conditions sont sine qua non à la réussite d’une telle transformation. Les auteurs soulignent notamment que la transformation de Sogilis a profité d’un écosystème favorable, et que la « qualité de vie au travail favorisée » qu’elle a permis est « contingente à une taille modeste ».




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Le paradoxe des entreprises libérées : libération ou asservissement ?


Utiliser la régulation cognitive

La régulation de la composante cognitive constitue le dernier levier potentiel pour alléger la charge mentale, en facilitant le traitement des informations au travail. C’est notamment le rôle de l’« ergonomie cognitive », dont l’objectif est de simplifier les tâches et de rendre l’utilisation des objets et interfaces intuitive et fluide.

Inconnue dans la plupart des domaines professionnelle, cette approche est centrale dans les métiers où la sécurité des usagers, patients ou travailleurs dépend de la vigilance de quelques-uns : aviation, transports ferroviaires, conduite automobile, surveillance de centrales électriques et nucléaires, chirurgie… À titre d’exemple, on peut citer les travaux de Hankins et Wilson, qui ont étudié la charge mentale chez les pilotes d’avion dans le but d’optimiser la conception des systèmes d’aide au pilotage. Plus proche de nous, citons l’enquête menée en 2006 auprès d’agents de régulation du métro parisien afin de recueillir des données concernant la charge mentale ressentie par les travailleurs. Cette dernière a permis de confirmer la surcharge informationnelle ressentie par les opérateurs et a permis de formuler des recommandations pour l’amélioration des conditions de travail, des postes de conduite ainsi que de la formation des nouveaux arrivants.

Enfin, en ergonomie cognitive on commence à s’intéresser à l’analyse de la charge mentale des opérateurs en industrie. Chez PSA notamment, des aménagements de postes ont conduit à diminuer le nombre d’informations à traiter par les ouvriers sur les chaînes de montage. Cerise sur le gâteau, les performances également on pû être améliorées ! On a su prendre soin de minimiser la charge cognitive des pilotes, contrôleurs, conducteurs et autres chirurgiens pour éviter les accidents. Il est temps désormais de s’occuper de réduire celle de Manon, Jacques, Martine et Simon !The Conversation

Lisa Jeanson, Doctorante en ergonomie cognitive, groupe PSA/laboratoire PErSEUs, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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